Rassemblement d’Ornellas
Solvins, samedi 28 septembre 2019
Le 11 novembre 1918 est assurément une date historique. Ce le fut aussi pour notre famille : ce jour, à Paris, en liesse, Vasco d’Ornellas & Denise Callon décidaient de s’unir. Nous en descendons tous ici, par le sang ou par alliance. Pour être précis, pas tous, car j’ai le plaisir de saluer parmi nous Bruno et Dominique d’Ornellas, ambassadeurs de la branche d’oncle Carlos.
Quelle magnifique assemblée devant moi ! quel nombre ! quelle jeunesse ! quelle diversité ! quelle unité ! Entre tante Claire et le jeune Basile, quatre générations, une longue histoire, beaucoup de fruits, et ce n’est pas fini.
Un grand merci à ceux qui ont lancé l’idée de cette réunion et surtout à ceux qui l’ont montée, en particulier à Guy de Fougeroux : Guy, bravo pour tes talents d’organisa-teur, ton énergie, ta ténacité ! Merci à Hervé et Chantal de Fougeroux de nous accueillir en ce Loiret qui a tenu une grande place dans la vie de Vasco. Merci à Emmanuel de La Burgade pour sa contribution musicale et ses talents. C’est un signe que les familles Fougeroux et d’Ornellas, unies par des liens anciens, renouvelés et fidèles, aient conjugué leurs efforts pour nous réunir.
Mais pour qui ce rassemblement ? Pour les plus jeunes en premier lieu : vous, les cousins issus-de-germains et issus-issus-de-germains, c’est le jour pour vous présenter, vous parler, échanger vos mails, vous promettre de vous revoir.
Et quel sens à cette journée ? Le Pape François l’a dit : « Il n’y a pas d’identité de laboratoire », on ne peut donner si l’on ignore qui l’on est et d’où l’on vient. La connaissons-nous bien l’histoire d’Ornellas ?
Je me tourne vers les enfants :
– première question : la famille d’Ornellas, vient-elle d’Espagne ? du Portugal ? de Pologne ?
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– seconde question : l’île de Madère, MADEIRA, est-elle en Méditerranée, dans l’Atlantique, le Pacifique ?
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Il faut en dire un peu plus. C’est, à travers les terres et les mers, une histoire originale, dont les rebondissements peuvent éclairer nos chemins. Sortant jeune fille dans le grand monde parisien, ma fille Marie disait que sa famille était d’origine péruvienne, car, pensait-elle, « c’est plus chic que portugaise ». Elle avait tort. Le Portugal, petit pays, grande nation, a répandu durablement sa langue, sa religion et sa culture sur tous les continents. Nos ancêtres ont parcouru les océans, comme en attestent les sirènes, évocatrices de navigations lointaines et peut-être de conquêtes féminines sur les terres nouvelles. À propos de blason, avez-vous lu la devise : Antes quebrar que torcer. Traduisons : « Plutôt rompre que plier », sans doute l’annonce de cette souplesse de caractère et de cette aménité généralement reconnues aux plus authentiques d’Ornellas.
Madère, île de soleil et de brumes, de montagnes et de vignes : nos ancêtres y ont pris racine dès le XVe siècle. Le madère, présent sur les meilleures tables d’Europe, assure la prospérité de la famille. Mais, en 1850, un fléau venu d’Amérique, le mildiou, anéantit le vignoble. Evaristo (grand-père de Vasco), alors plus tout jeune, fait front. Il se tourne vers le Pérou pour y reprendre l’activité viticole. Projet audacieux – songeons aux mois de navigation sur l’Atlantique et le Pacifique. Projet réussi en tout cas. Ainsi, son fils Antonio mènera longtemps au Pérou des activités médicales et diplomatiques, et sa descendance, par oncle Thomas, y est toujours.
À l’époque vit entre Hambourg et Malaga, et aussi au Pérou, une famille de légende, les Heeren. Il y a en particulier cinq sœurs qui allient en leurs personnes la poésie de l’Allemagne du Nord et le feu de l’Andalousie. À Paris, où converge la société internatio-nale de ce temps, Antonio épouse l’une d’elles, Dolores. On a dit plus tard : « Les Heeren ont la beauté ; les d’Ornellas, l’intelligence. » Nous, leurs descendants, restons modestes…
Les années passent, paisibles. Survint l’affaire Dreyfus, – pas celle du malheureux Alfred, mais l’autre, du nom d’un banquier qui ruina la caisse de financement de la récolte du guano au Pérou, alors placement très sûr des épargnants. La fortune d’Antonio est ébranlée. Mais il reste à Paris pour y élever au mieux ses six enfants. Avec succès : Carlos et Thomas réussissent Centrale ; Vasco, le Polytechnicum de Zurich ; Antonia, religieuse, dirigera des collèges réputés en Argentine et en Irak.
Juillet 1914. Pour Vasco, c’est l’heure des choix. Par affinité, il est très lié au monde germanique, à ses cousins et à ses belles cousines en Rhénanie, en Alsace, en Suisse. Mais il n’hésite pas : mesurant ce que la France lui avait apporté, il en prend la nationa-lité, s’engage, s’illustre comme lieutenant d’artillerie sur le front italo-autrichien.
Nous l’avons vu, c’est au lendemain de la Grande Guerre que Vasco se marie. Au passage, je vous rappelle que Denise descend d’un très grand savant : Jean-Baptiste de Lamarck. Allez voir à l’entrée du Jardin des Plantes la statue de votre aïeul : il sera peut-être sensible à votre piété familiale.
Katowice, années 1920 : la Silésie est une terre austère, âpre, rude. Vasco s’y installe pour diriger un groupe sidérurgique franco-polonais, qu’il développera dans des conditions ardues.
Un deuil irréparable : la mort de Denise, à la naissance d’Alex.
Toujours, la vie reprend. Vasco se remarie avec Elisabeth de Laage de Meux (sa mère était Fougeroux), Elle fut exemplaire pour ses beaux-enfants, dont deux, François et Antoinette devaient se marier dans sa propre famille. Ensemble en Pologne, Vasco et Elisabeth purent observer avec clairvoyance les prémisses des drames qui allaient bientôt bouleverser l’Europe.
Katowice, 1er septembre 1939, 4 heures du matin : Vasco est à son poste, quand la Wehrmacht fait irruption sur la frontière toute proche. En quelques heures, sa maison, ses usines, tout est emporté. Il lui faudra une odyssée périlleuse à travers la Pologne submergée par les nazis et les soviétiques, puis la Roumanie et la Méditerranée, pour retrouver les siens restés à Neuilly.
1945 : dès la fin des combats, Vasco part expertiser les possibilités de relancer l’activité industrielle dans la Sarre détruite. François et Jean-Paul reviennent de leurs glorieuses campagnes dans la division Leclerc et l’armée de Lattre. Ils se marient bientôt, suivis de leur sœur Antoinette, plus tard d’Alex. Vasco dirigera enfin la filiale d’un groupe américain, et je me rappelle ses voyages aux Etats-Unis en paquebot, puis – quelle nouveauté ! – en avion.
Arrêtons-nous là. Que retenir ? Face aux épreuves et aux revers, qui n’ont pas manqué, face aux accidents de l’Histoire, les nôtres ont su réagir, rebondir, repartir. Et à chaque fois, vers le renouveau et l’ouverture, qui ont conduit, en partie, à ce que nous sommes aujourd’hui. À vous les jeunes de continuer !
Enfin, je voudrais faire un vœu et évoquer un souvenir.
Le vœu porte sur cette histoire de la famille, qui mérite d’être mieux connue dans ses mœurs, ses alliances, ses demeures, ses réalisations. Elle devrait susciter des vocations de généalogistes et d’historiens. Guy de Fougeroux a ouvert la voie. Que d’autres s’y mettent, et diffusent leurs découvertes !
Le souvenir est en réalité un souvenir par anticipation, au futur antérieur, ce temps qui fascinait Jean d’Ormesson.
Nous sommes en 2030, sur quelque aéroport lointain. Deux d’entre vous s’y croisent par hasard. Ils hésitent, mais l’air de famille ne trompe pas. Ils s’abordent et dialoguent :
« Qui es-tu au juste ? quand donc avons-nous pu nous voir ?
– Ah oui, Solvins, c’était il y a si longtemps, mais vraiment extra ! Tu te rappelles…
– Bien sûr, quel souvenir !
– Et maintenant, promis, il faut se revoir. »
Notre rassemblement aura bien d’autres suites, bien d’autres échos, bien d’autres fruits, mais ne serait-ce que pour cette rencontre future, imaginée mais quasiment certaine, et elle aussi féconde, ce jour du souvenir, de joie, d’élan, de prière, ce 28 septembre 2019 aura mérité d’être vécu !
Christian d’Ornellas